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La poussière s’élevait
en tourbillons au-dessus des broussailles du Texas formant dans le crépuscule
un halo qui enveloppait la petite ville d’Arnette dans un épais voile sépia, fantomatique.
Le vent avait fait tomber en travers de la route l’enseigne Texaco de Bill
Hapscomb. Quelqu’un avait laissé le gaz ouvert chez Norm Bruett et, la veille, une
étincelle du moteur du climatiseur avait fait sauter toute la maison. La rue
Laurel était jonchée de morceaux de bois, de briques et de jouets Fisher-Price.
Sur la grand-rue, chiens et soldats s’entassaient pêle-mêle dans le caniveau. Dans
le supermarché de Randy, un homme en pyjama était affalé sur le comptoir des viandes,
les bras en croix. Un des chiens qui gisaient maintenant dans le caniveau s’en
était pris au visage de cet homme avant de perdre l’appétit pour toujours. Les
chats n’avaient pas attrapé la grippe et on en voyait des douzaines marauder
dans l’immobilité du crépuscule, comme des ombres. Dans plusieurs maisons, les
téléviseurs étaient restés allumés et de leurs haut-parleurs sortait un
crachotement continu de parasites. Un store claquait quelque part. Un petit
chariot d’enfant dont la peinture rouge disparaissait sous la rouille, le mot
LIVRAISONS EXPRESS à peine lisible sur les côtés, attendait en plein milieu de
la rue Durgin, devant le bar Indian Head Tavern. Il était rempli de bouteilles
de bière et de limonade. Rue Logan, dans le meilleur quartier d’Arnette, un
carillon éolien égrenait ses notes sous la véranda de Tony Leominster. Sa jeep
était encore dans l’allée, toutes vitres baissées. Une famille d’écureuils
avait élu domicile sur la banquette arrière. Le soleil abandonna finalement la
petite ville et la nuit étendit bientôt son voile sur Arnette. Tout était
silencieux, à part les murmures des petits animaux et les notes cristallines du
carillon de Tony Leominster. Le silence. Le silence.